CRITIQUE – Dans son adaptation de Balzac, Xavier Giannoli dirige Benjamin Voisin et Vincent Lacoste en jeunes journalistes ambitieux. Un film qui honore l’écrivain en le modernisant.
Il ne faudrait jamais quitter Angoulême. La sagesse, hélas, n’est pas le propre des jeunes gens, surtout s’ils envisagent d’être poètes. Lucien Chardon, qui a rédigé un recueil intitulé Les Marguerites, a des ambitions. Fréquenter le salon de Madame de Bargeton ne lui suffit pas. Obtenir une particule, c’est déjà compliqué. Se faire un nom, voilà une tâche quasi impossible.
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Lucien de Rubempré, au physique pas désagréable, séduit les dames, irrite les messieurs, caresse des rêves de gloire. La province, cela va cinq minutes. À nous deux Paris, comme le clamera un de ses camarades en caractères d’imprimerie. Au XIXe siècle, cette ville est le royaume des affairistes et des combinards. L’escroc pullule. Les fausses valeurs tiennent le haut du pavé. Lucien en reste confondu. Cette sidération n’a qu’un temps. Le garçon apprend vite. La littérature patientera. En attendant, il y a le journalisme. C’est un joli métier. Sous la houlette de Vincent Lacoste, cynique et déluré, la capitale prend soudain d’autres couleurs.
Quel fabuleux panier de crabes. La critique? Parlons-en. Les chroniqueurs sont achetés. En cas d’indécision, un ouistiti choisira le livre à démolir, celui à encenser. Les éloges ont leur prix. Quelle importance? La presse vit en plein désordre. Dans les salles de rédaction, le champagne coule à flots. Au théâtre, les réputations se défont en une soirée. Dans le public, la claque est organisée par le torve Jean-François Stévenin, dans son dernier rôle. Tantôt on siffle, tantôt on applaudit. Question de tarif. La température peut varier durant la représentation et soit on lancera sur scène des fleurs blanches soit on provoquera des huées. L’honnêteté, pour quoi faire? L’actionnaire espère des retombées. La publicité règne déjà, même si elle s’appelait alors réclame. Les rumeurs se créent de toutes pièces. Vraies ou fausses, elles circulent. C’est cela qui compte. Les réputations se détruisent en un entrefilet. Les codes sont sacrés. Il ne s’agit pas de les enfreindre. Problème: ils changent tous les jours. Ces mœurs sont celles de curieux insectes dont l’espèce n’a sans doute pas disparu.
Le masque et la plume
Au Palais-Royal, d’accortes demoiselles monnayent leurs prestations. Certaines se prétendent actrices. Attention. Le nigaud de Rubempré, qui a pourtant renoncé à bien des principes, s’amourache d’une avenante Coralie aux bas rouges et aux aspirations un peu floues. Quelle idée de la pousser à jouer Bérénice! Benjamin Voisin porte la redingote avec aisance, zigzague dans ce monde interlope. Il en goûtera les plaisirs, y laissera des plumes, et d’abord la sienne. Louis-Do de Lencquesaing, rédacteur en chef madré, n’en fera qu’une bouchée.
Avec Illusions perdues, Giannoli honore Balzac. Il filme son histoire au galop, y trouve des accents contemporains, s’offre des clins d’œil en évoquant le masque et la plume, a presque l’air de regretter cette époque où un article avait un retentissement immédiat. L’imposture, on le sait, constitue une de ses inspirations. Le roman lui sert de stand de tir, de cour de récréation. Avec cela, un allant, une confiance dans les vertus du cinéma qui sont communicatifs.
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Les têtes tournent. Les huissiers déboulent. Depardieu jubile en éditeur qui en a vu d’autres. Jeanne Balibar, snob, sinueuse, veloutée, a des humeurs versatiles. L’argent a du bon. Il a aussi une odeur. Il importe d’être célèbre avant de montrer son talent. Sage leçon. Lucien l’a ignorée. C’est son drame. Il tombe de haut. Le critique, lui, ose à peine dire du bien de ce tourbillon d’images, ce brasier de destins. Giannoli va croire qu’on nous a payés pour ça. Dans le doute, qu’il s’adresse au Figaro qui lui transmettra notre RIB. Balzac pas mort.
