CRITIQUE – Pour son hommage au New Yorker, le brillant réalisateur plante sa caméra dans une France magique et fantasmée. Sa méticulosité y confine à la poésie.
Pas de larmes, SVP. Le défunt détestait ça. Dans son bureau, une affiche proclamait «No crying». Ça n’est pas parce que le directeur de The French Dispatch vient de mourir qu’il faut déroger à la règle. Une autre de ses devises était: «Faites comme si vous l’aviez écrit de cette façon exprès.» La rédaction, basée à Ennui-sur-Blasé (France), rend hommage à Bill Murray. Le film se présente sous forme de sommaire. Ça sera, selon la volonté de son créateur, le dernier numéro.
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Une bonne odeur de province monte aux narines. Les serveurs de café sont en livrée. Les cigarettes s’appellent Gaullistes. On roule en 2 CV. Le fils du commissaire vient d’être kidnappé. Amalric organise des dîners fins préparés par un chef japonais. Tilda Swinton, tout en orange, qui s’est fait le sosie de Margaret Thatcher, avec ses dents en avant, livre une conférence sur un artiste génial enfermé dans la prison pour meurtre. Léa Seydoux pose nue pour Benicio Del Toro, barbu, rugueux, se méfiant du galeriste Adrien Brody. Il y a une collectionneuse milliardaire à la Peggy Guggenheim. Owen Wilson sillonne la région à vélo. Frances McDormand en pince pour Timothée Chalamet, étudiant contestataire à la moustache clairsemée et aux cheveux en désordre. Le juke-box diffuse Aline de Christophe en version décalée. La révolte gronde. Des pavés volent. Les gaz lacrymogènes ont un parfum de nostalgie. Les événements de Mai 68 n’empêchent pas les joueurs d’échecs de continuer leur partie. Cela ne traîne pas.
Adieu à un monde enfui
Cette collection de vignettes donne le tournis. Wes Anderson est le roi de la miniature, un fou du détail, un adepte de l’élégance et de la précision. Sa méticulosité touche à la poésie. Son hommage au New Yorker multiplie les références, bourdonne de citations. Le tout déborde d’idées et d’invention. Cela frôle parfois le trop-plein. Le noir et blanc succède à la couleur. Une poursuite en voiture est réalisée en dessin animé. Les Tractions Avant zigzaguent dans les rues de la ville imaginaire. La musique s’inspire d’Érik Satie. Une galerie de personnages défile à une allure folle. Il s’agit d’ouvrir l’œil pour repérer Cécile de France, Liv Shreiber, Benjamin Lavernhe, Edward Norton. Elisabeth Moss trace à la craie des équations au tableau.
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Anderson récrée une France magique, avec flics à képis, gastronomie démodée, adolescents en velours milleraies. C’est comme une boîte de chocolats: on ne sait pas lequel saisir en premier. L’astuce consiste à revoir The French Dispatch, tellement l’image est bourrée de surprises, et pas forcément au premier plan. On dirait un réjouissant inventaire à la Prévert. Il règne sur cet adieu à un monde enfui une allégresse, une fantaisie qui rappellent Alexandre Vialatte. La tentation n’est pas mince de chercher sur les cartes où se trouve Ennui-sur-Blasé. Les GPS sont muets, là-dessus. Wes Anderson a bâti un univers qui n’appartient qu’à lui. Il ne faut surtout pas que quelqu’un essaie de l’imiter. Et c’est ainsi qu’Anderson est grand.
Découvrez la bande-annonce du film «The French Dispatch» – Regarder sur Figaro Live
«The French Dispatch», comédie de Wes Anderson, avec Bill Murray, Léa Seydoux, Frances McDormand, Timothée Chalamet… Durée 1 h 48
