ENQUÊTE – Malgré le succès du dernier essai du polémiste, certaines enseignes ont décidé de ne pas le vendre. D’autres ne le mettent pas en vitrine ou dans leurs rayonnages. Tournée des librairies de Paris et d’ailleurs.
«Certains clients nous disent merci !» Derrière sa caisse, Morgane, le visage rieur, l’assure, la décision de la librairie est appréciée par la clientèle. «Des habitués sont venus nous voir pour nous féliciter de ne pas l’afficher en magasin», poursuit-elle. Dans la librairie des Arpenteurs, dans le 9e arrondissement de Paris, inutile de chercher le dernier essai d’Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot. Il n’y est pas. Dans le petit rayon des livres politiques,
situé juste à côté de la caisse, le livre du polémiste n’a pas sa place. «Quand le distributeur nous a proposé l’ouvrage, on n’a pas réfléchi longtemps, on a dit non tout de suite», explique la vendeuse de 31 ans, cheveux bruns et lunettes rondes posées au bout du nez.
Malgré le succès du livre, qui caracole en tête des ventes dans sa catégorie, l’enseigne de la rue de Choron ne regrette pas ce choix. «On a eu quelques demandes de personnes qui le voulaient, dans ce cas, on le fait à la commande. On a pris la bonne décision, le livre est beaucoup trop polémique pour nous».
«Ces réticences n’empêcheront pas le livre de se vendre»
À quelques encablures de la librairie des Arpenteurs, dans la boutique d’Anne-Laure Reboul, le livre est bien proposé à la vente. La décision de le mettre en rayon n’a pas été prise sans une période de réflexion. «Il y a eu tout un débat entre le personnel pour
savoir si on allait prendre le livre ou non, c’était un vrai cas de conscience», se souvient la quadragénaire, responsable de L’Atelier 9 à Paris. «Éric Zemmour et ses propos sont tellement clivants qu’évidemment on se pose des questions sur le nombre d’ouvrages à commander, où le placer», confirme Yanis, un de ses collègues, en train de déballer un carton de livres.
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Dans cette petite librairie, des milliers d’ouvrages du sol au plafond. Dernières nouveautés, littérature anglaise, romans policiers… Pour trouver celui du polémiste, il faut savoir chercher, et aller tout au fond du magasin, juste avant les réserves. La responsable, au visage pâle et aux cheveux noirs, fouille dans ses souvenirs : «La dernière fois qu’on s’est posé autant de questions sur un livre, c’était pour les mémoires de Jean-Marie Le Pen». Même si elle tient à rassurer : «Nous ne sommes pas des militants non plus, mais des commerçants. On se doit de proposer l’ouvrage. Si certains l’achètent, très bien, ce n’est pas notre rôle de les en dissuader.»
Même stratégie à Auxerre. Chez Obliques, l’un des derniers libraires de la cité bourguignonne, les ventes du livre d’Éric Zemmour se font à bas bruit. «Je ne veux surtout faire aucune publicité», assure d’emblée le gérant, Grégoire Courtois. Même si l’ouvrage est l’une des meilleures ventes du magasin, il n’est pas sur la table des best-sellers mais dans le rayon des essais politiques, avec tous les autres. «J’avais mis en avant ses précédents ouvrages, qui étaient déjà de gros succès, mais de nombreux clients s’en plaignaient, donc j’ai arrêté». Et le libraire d’ajouter : «Je préfère mettre du Jérôme Fourquet, La France sous nos yeux, c’est beaucoup plus consensuel.»
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Ces réticences et des refus ne surprennent pas les proches d’Éric Zemmour : «On se doutait que ça allait arriver. Ça se passe toujours comme ça avec les ouvrages qui ne sont pas politiquement corrects : vous avez des libraires qui le refusent ou essayent de le cacher, confie un conseiller du polémiste. Mais ça n’empêchera pas le livre de se vendre !»
130.000 exemplaires écoulés
En deux semaines seulement, l’ouvrage s’est écoulé à 130.000 exemplaires (chiffres GFK), le hissant en tête des ventes de livres politiques. Un succès commercial indéniable… et un gain financier non négligeable. «J’aurais aimé ne pas mettre autant en avant le livre, mais je n’ai pas le choix, c’est ce qui se vend le plus en ce moment», admet Olivier Gallais, le cheveu bouclé en bataille, gérant de La Librairie Idéale dans le 7e arrondissement de la capitale. Dans les bacs installés devant sa boutique, le manuscrit de Zemmour est placé en tête de gondole. «Et on sait qu’il va y rester, il est tellement médiatisé qu’il y a encore de la demande plus d’un mois après sa sortie, le 16 septembre», assure le libraire. Les bénéfices de la vente du polémiste lui permettront de mettre en avant d’autres petits auteurs méconnus.
À Tours, en revanche, la mise en avant du livre du polémiste est pleinement assumée. «On ne se pose pas de questions, indique Anne, vendeuse au rayon littérature étrangère et actualité à La
Boîte à Livres. Son essai est traité comme tous les autres.» Dans la petite boutique, près de 170 exemplaires ont été achetés depuis sa sortie, une des meilleures ventes de l’enseigne. «C’est un objet commercial, sans aucun doute, expose-t-elle. Et puis, au-delà de
ça, c’est notre rôle de libraire de tout proposer, ça fait partie du jeu démocratique.»
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Cinéma, théâtre, musique… Les étudiants-journalistes d’IPJ, l’Institut Pratique du Journalisme de l’Université Paris Dauphine , proposent leur regard sur l’actualité culturelle. IPJ Dauphine