CRITIQUE – Pour son nouveau film, Xavier Beauvois se penche sur un gendarme en plein désarroi. Un film puissant.
Il part. Il en a trop vu. Laurent est un homme qui coule. Ce sous-
officier de gendarmerie jette le gant. Le quotidien n’est pas rose. Albatros se déroule à Étretat. Comme ailleurs, la vie trimballe son lot de misère banale. Il faut ramener les ivrognes chez eux (le réalisateur Xavier Beauvois incarne lui-même le poivrot titubant). Cela n’est rien. Il y a les suicides. Un corps chute de la falaise. Sur les galets, cela produit un drôle de bruit mou. Le couple de Japonais qui se faisait photographier au bord de l’eau fuit en courant. Les missions consistent à arrêter un adolescent à scooter qui roule sans casque, à déminer la plage sous une pluie torrentielle. Heureusement, Laurent va enfin épouser Marie, avec laquelle il a une fille de 8 ans. Ils vont déménager. Il lui offre une bague. Elle a peur de choisir une robe trop chère.
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Dans les bureaux, les collègues discutent de LBD (les utiliser ou pas), projettent de se payer une croisière en famille sur un paquebot (ils ne sont pas d’accord sur ce genre de loisir). Dialogues à bâtons rompus, un gobelet de café à la main. Le soir, ils vont dîner, un kebab à la ville voisine. La routine, quoi. D’accord, cet éleveur à dreadlocks risque de devenir un problème. Il est écrasé par les charges, harcelé par les services sanitaires. Sa subvention n’arrive pas. Ses vaches sont mieux logées que lui. Laurent le réconforte, tâche de lui remonter le moral. Le paysan a un fusil. Le drame surviendra. Ça ne sera pas celui qu’on redoutait.
Un uniforme pour armure
Xavier Beauvois, auteur d’un des plus beaux films français (Des hommes et des dieux), efface en deux heures le pensum des Gardiennes. Il retrouve ses marques, montre un pays à l’arrêt, perdu dans des problèmes qu’on dirait insolubles, comme frappé de stupeur. Jérémie Renier, en train de devenir un acteur hors pair, l’épaule dans cette entreprise. Son uniforme lui sert d’armure. Il lui tenait chaud. C’est fini. Son regard se ferme. Ses épaules se voûtent. La tendresse de sa femme ne suffit plus.
Il est ailleurs. Voici un homme dévasté, effondré de l’intérieur. Il rêvait d’aller à Terre-Neuve, contemplait la maquette de bateau que lui avait donnée sa mère, en souvenir, sorte de talisman posé sur la cheminée. À quoi bon retaper une nouvelle maison? Le brave gars ne croit plus à rien. Il voulait aider, et voilà le résultat. Il rend son tablier, saute sur son voilier sans prévenir personne. Il se sauve, dans tous les sens du terme. À terre, tout le monde s’inquiète. Sur la mer, le héros affronte ses démons, traverse une tempête, recolle les morceaux du puzzle qu’est devenue son existence.
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Beauvois, qui aurait sans doute pu s’éviter une séquence d’hallucination, n’a pas son pareil pour scruter les âmes en miettes. Il décrit la solitude, le remords, l’incompréhension. Son Albatros a de la force, une puissance qui n’exclut pas les moments d’intimité. On y voit la houle des sentiments, l’absurdité en pull-over bleu, des corps fatigués, une France quasi hagarde. Beauvois est unique dans le paysage. Ses ailes de géant ne l’empêchent pas de filmer.
